L’assignation abusive pour harcèlement judiciaire : un détournement de la justice à des fins malveillantes

L’assignation abusive pour harcèlement judiciaire constitue une pratique pernicieuse visant à intimider ou épuiser financièrement un adversaire par le biais de procédures judiciaires répétées et infondées. Ce phénomène, en pleine expansion, soulève de graves questions quant à l’équilibre entre le droit d’accès à la justice et la protection contre les abus procéduraux. Nous examinerons les contours juridiques de cette pratique, ses conséquences dévastatrices pour les victimes, ainsi que les moyens de lutte mis en place par le législateur et les tribunaux pour endiguer ce fléau qui menace l’intégrité du système judiciaire.

Définition et caractéristiques de l’assignation abusive

L’assignation abusive se définit comme l’utilisation détournée des procédures judiciaires dans le but de nuire à autrui, sans fondement légitime. Elle se caractérise par la multiplication de procédures judiciaires infondées ou disproportionnées, visant à harceler, intimider ou épuiser financièrement la partie adverse. Le harcèlement judiciaire, quant à lui, désigne spécifiquement la répétition systématique de ces assignations abusives dans le temps.

Les caractéristiques principales de l’assignation abusive incluent :

  • La multiplicité des procédures engagées
  • L’absence de fondement juridique solide
  • L’intention malveillante de nuire à l’adversaire
  • La disproportion entre les moyens employés et le but recherché

Dans la pratique, l’assignation abusive peut prendre diverses formes. Il peut s’agir de plaintes pénales répétées, de recours administratifs systématiques, ou encore de procédures civiles en cascade. Le point commun à toutes ces actions est leur caractère vexatoire et leur absence de légitimité sur le fond.

Le Code de procédure civile français ne définit pas explicitement l’assignation abusive. Toutefois, la jurisprudence a progressivement dégagé des critères permettant de la caractériser. Ainsi, les juges s’attachent à examiner la bonne foi du demandeur, la pertinence des arguments juridiques avancés, ainsi que le comportement procédural global de la partie suspectée d’abus.

Il convient de souligner que la frontière entre l’exercice légitime du droit d’agir en justice et l’abus de ce droit peut parfois s’avérer ténue. C’est pourquoi les tribunaux font preuve de prudence dans la qualification d’assignation abusive, afin de ne pas porter atteinte au droit fondamental d’accès au juge.

Les motivations derrière le harcèlement judiciaire

Les motivations qui poussent certains justiciables à se livrer au harcèlement judiciaire sont multiples et complexes. Elles relèvent souvent d’une volonté de vengeance, d’intimidation ou de pression psychologique sur l’adversaire. Dans certains cas, l’objectif peut être purement financier, visant à épuiser les ressources de la partie adverse par l’accumulation de frais de justice.

Parmi les motivations fréquemment rencontrées, on peut citer :

  • La volonté de nuire à la réputation d’un concurrent
  • Le désir de faire pression dans le cadre d’un conflit personnel ou professionnel
  • La tentative de détourner l’attention d’une affaire en cours
  • L’espoir d’obtenir un avantage indu par l’usure psychologique de l’adversaire

Dans le domaine des affaires, le harcèlement judiciaire peut être utilisé comme une arme de concurrence déloyale. Des entreprises peu scrupuleuses n’hésitent pas à multiplier les procédures contre leurs rivaux, dans le but de les déstabiliser ou de les contraindre à des dépenses importantes en frais de défense.

Sur le plan personnel, le harcèlement judiciaire est parfois le prolongement d’un conflit relationnel. On le retrouve fréquemment dans les litiges familiaux, notamment lors de divorces conflictuels où l’un des ex-époux cherche à se venger de l’autre par le biais de la justice.

Il arrive également que le harcèlement judiciaire soit motivé par des considérations idéologiques ou politiques. Certains groupes ou individus utilisent les tribunaux comme une tribune pour promouvoir leurs idées, au mépris des règles de bonne foi procédurale.

Quelle que soit la motivation sous-jacente, le harcèlement judiciaire traduit toujours un détournement de la finalité de la justice. Au lieu de chercher à faire valoir un droit légitime, l’auteur de ces pratiques instrumentalise les procédures judiciaires à des fins purement personnelles ou stratégiques.

L’impact dévastateur sur les victimes

Les conséquences du harcèlement judiciaire sur ses victimes sont souvent dévastatrices, tant sur le plan psychologique que financier. L’accumulation de procédures abusives peut littéralement briser des vies, plongeant les personnes ciblées dans une spirale infernale de stress et d’épuisement.

Sur le plan psychologique, les victimes de harcèlement judiciaire subissent une pression constante. La menace permanente de nouvelles procédures génère un état d’anxiété chronique. Beaucoup développent des troubles du sommeil, des symptômes dépressifs ou des manifestations psychosomatiques. Le sentiment d’injustice et d’impuissance face à un système judiciaire qui semble incapable de les protéger aggrave encore leur détresse.

D’un point de vue financier, l’impact peut être catastrophique. Les frais d’avocat et les dépens judiciaires s’accumulent, même lorsque les procédures sont infondées. Certaines victimes se retrouvent acculées à la ruine, contraintes de vendre leurs biens ou de s’endetter lourdement pour assurer leur défense. Dans les cas les plus graves, le harcèlement judiciaire peut conduire à la faillite personnelle ou professionnelle.

Les répercussions se font également sentir sur le plan social et professionnel. La multiplication des procédures peut nuire gravement à la réputation d’un individu ou d’une entreprise. Les victimes voient parfois leurs relations personnelles et professionnelles se dégrader sous l’effet des rumeurs et des soupçons générés par les assignations répétées.

Le temps et l’énergie consacrés à se défendre contre ces attaques judiciaires incessantes empêchent les victimes de se consacrer pleinement à leur vie personnelle et professionnelle. Beaucoup se trouvent contraintes de mettre entre parenthèses leurs projets ou leur carrière pour faire face au harcèlement.

Face à ces conséquences dramatiques, de nombreuses victimes finissent par céder aux exigences de leur harceleur, préférant capituler plutôt que de continuer à subir ce calvaire judiciaire. Cette issue est précisément l’objectif recherché par les auteurs de harcèlement, qui parviennent ainsi à leurs fins en détournant le système judiciaire de sa vocation première.

Les moyens de lutte contre l’assignation abusive

Face à la recrudescence des cas d’assignation abusive et de harcèlement judiciaire, le législateur et les tribunaux ont progressivement mis en place divers mécanismes de lutte. Ces outils visent à dissuader les plaideurs abusifs tout en offrant des voies de recours aux victimes.

L’un des principaux moyens de lutte est l’amende civile pour procédure abusive, prévue par l’article 32-1 du Code de procédure civile. Cette disposition permet au juge de condamner l’auteur d’une action en justice dilatoire ou abusive à une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 euros. Cette sanction peut être prononcée d’office par le tribunal, sans qu’il soit nécessaire que la victime en fasse la demande.

En complément de l’amende civile, les victimes peuvent solliciter des dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. Ces dommages et intérêts visent à réparer le préjudice subi du fait des procédures injustifiées, notamment les frais de défense engagés.

La loi du 29 mars 2019 relative à la lutte contre la manipulation de l’information a introduit un nouveau dispositif spécifiquement dédié à la lutte contre les procédures bâillons. L’article 581-1 du Code de procédure civile permet désormais au juge de prononcer une amende civile allant jusqu’à 20% du montant des dommages et intérêts demandés, avec un minimum de 15 000 euros, en cas de procédure manifestement dilatoire ou abusive.

Les tribunaux disposent également d’autres leviers pour sanctionner les plaideurs abusifs :

  • La radiation du rôle pour défaut de diligence
  • Le rejet des demandes pour irrecevabilité manifeste
  • La condamnation aux dépens et frais irrépétibles

En matière pénale, le délit de dénonciation calomnieuse, prévu par l’article 226-10 du Code pénal, permet de sanctionner les plaintes abusives et infondées. Ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Enfin, les ordres professionnels (avocats, huissiers, etc.) peuvent prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre de leurs membres qui se rendraient coupables de pratiques abusives dans l’exercice de leurs fonctions.

Vers une meilleure protection des victimes ?

Malgré l’existence de ces différents outils juridiques, force est de constater que la protection des victimes de harcèlement judiciaire reste encore insuffisante. Plusieurs pistes de réflexion sont actuellement à l’étude pour renforcer l’arsenal législatif et judiciaire contre ces pratiques abusives.

L’une des propositions les plus discutées consiste à créer une procédure accélérée permettant de rejeter rapidement les assignations manifestement abusives. Cette procédure de filtrage préalable permettrait d’éviter que les victimes ne soient contraintes de se défendre longuement contre des actions dénuées de tout fondement.

Une autre piste envisagée est le renforcement des sanctions financières à l’encontre des plaideurs abusifs. Certains proposent d’augmenter significativement le montant des amendes civiles, voire d’instaurer un système de dommages et intérêts punitifs pour les cas les plus graves de harcèlement judiciaire.

La question de la responsabilité des avocats dans les procédures abusives fait également débat. Certains suggèrent de renforcer les obligations déontologiques des conseils, en leur imposant un devoir de vigilance accru quant au bien-fondé des actions qu’ils intentent pour le compte de leurs clients.

Sur le plan procédural, l’idée d’un référé anti-harcèlement judiciaire est parfois évoquée. Cette procédure d’urgence permettrait aux victimes d’obtenir rapidement une ordonnance interdisant à leur harceleur d’engager de nouvelles actions sans autorisation préalable du juge.

Enfin, la formation des magistrats à la détection et au traitement des procédures abusives apparaît comme un axe de progrès essentiel. Une meilleure sensibilisation des juges à cette problématique permettrait une identification plus précoce des cas de harcèlement judiciaire.

Ces différentes pistes de réflexion témoignent d’une prise de conscience croissante de la gravité du phénomène d’assignation abusive. Toutefois, leur mise en œuvre concrète soulève des questions complexes, notamment quant à la préservation de l’équilibre entre la lutte contre les abus et le respect du droit fondamental d’accès au juge.

En définitive, la lutte contre le harcèlement judiciaire nécessite une approche globale, combinant évolution législative, adaptation des pratiques judiciaires et sensibilisation de l’ensemble des acteurs du monde juridique. C’est à ce prix que l’on pourra espérer endiguer ce fléau qui menace l’intégrité de notre système judiciaire et la confiance des citoyens en la justice.