
Le droit des mobilités durables émerge comme une branche juridique distincte à mesure que les préoccupations environnementales façonnent nos modes de déplacement. Face à l’urgence climatique, le législateur français a développé un arsenal juridique visant à encadrer et promouvoir des formes de transport moins polluantes. Cette évolution normative touche autant les collectivités territoriales que les entreprises et les particuliers, créant un maillage complexe d’obligations et d’incitations. Le cadre légal actuel, en constante mutation, reflète la tension entre impératifs écologiques, réalités économiques et libertés individuelles, tout en s’inscrivant dans une dynamique européenne et internationale de lutte contre le réchauffement climatique.
Fondements juridiques et évolution législative des mobilités durables
Le cadre normatif des mobilités durables s’est construit progressivement en France, répondant aux défis environnementaux croissants. La loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) de 1982 constituait déjà une première pierre à l’édifice en reconnaissant le droit au transport pour tous. Néanmoins, c’est véritablement avec le Grenelle de l’Environnement en 2007 que s’amorce une réflexion profonde sur la durabilité des transports.
La loi Grenelle I (2009) et la loi Grenelle II (2010) ont fixé des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports, incitant au développement des alternatives à la voiture individuelle. Ces textes fondateurs ont notamment facilité la création de nouvelles infrastructures pour les transports collectifs et encouragé les modes actifs comme le vélo.
Une avancée majeure est survenue avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015, qui a introduit plusieurs mesures novatrices:
- L’obligation pour les entreprises de plus de 100 salariés d’élaborer un plan de mobilité
- Le développement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques
- L’instauration d’une prime à la conversion pour le remplacement des véhicules polluants
La loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 marque un tournant décisif dans l’approche juridique des mobilités durables. Ce texte ambitieux réforme en profondeur la gouvernance des mobilités, en confiant aux collectivités territoriales, notamment aux intercommunalités, un rôle central dans l’organisation des services de mobilité sur leur territoire. La LOM consacre juridiquement le concept de mobilité durable et instaure de nouveaux outils comme le forfait mobilité durable, permettant aux employeurs de prendre en charge les frais de déplacement domicile-travail de leurs salariés utilisant des modes alternatifs à la voiture individuelle.
Plus récemment, la loi Climat et Résilience de 2021 a renforcé les dispositions en faveur des mobilités durables, avec notamment:
- La création de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici 2025
- L’interdiction progressive de la vente des véhicules émettant plus de 95g de CO2/km d’ici 2030
- Le renforcement du malus écologique pour les véhicules les plus polluants
Cette évolution législative s’inscrit dans un cadre européen contraignant, avec des directives et règlements fixant des objectifs de réduction des émissions de CO2 pour les constructeurs automobiles et promouvant les carburants alternatifs. Le Pacte vert européen (Green Deal) vise à faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone d’ici 2050, ce qui implique une transformation profonde du secteur des transports, responsable d’environ 25% des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne.
Gouvernance et compétences en matière de mobilités durables
La répartition des compétences en matière de mobilités durables reflète la complexité de l’architecture institutionnelle française. L’État conserve un rôle stratégique dans la définition des grandes orientations nationales, notamment à travers la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) qui fixe des objectifs sectoriels de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il demeure l’autorité compétente pour les infrastructures d’intérêt national comme le réseau ferroviaire ou autoroutier.
Les régions ont vu leur rôle considérablement renforcé par la réforme territoriale et la LOM. Elles sont désormais les autorités organisatrices de la mobilité régionale (AOMR), chargées de l’organisation des services ferroviaires régionaux, des transports routiers interurbains et scolaires. Elles élaborent les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) qui comportent un volet mobilité fixant les orientations en matière d’infrastructures de transport.
Le rôle pivot des intercommunalités
La LOM a profondément modifié la gouvernance locale des mobilités en faisant des communautés de communes des acteurs centraux. Depuis le 1er juillet 2021, toutes les communautés de communes ont dû se prononcer sur la prise de compétence mobilité. Celles qui ont choisi de devenir autorités organisatrices de la mobilité (AOM) peuvent désormais organiser des services de mobilité adaptés aux spécificités de leur territoire: transport régulier, transport à la demande, mobilités actives, mobilités partagées, etc.
Les métropoles et communautés urbaines exerçaient déjà cette compétence, souvent à travers des syndicats mixtes de transport. Leur action s’est renforcée avec la possibilité d’instaurer des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) dans les agglomérations, limitant progressivement l’accès des véhicules les plus polluants aux centres urbains.
Cette gouvernance à multiples niveaux nécessite une coordination efficace, facilitée par la création des bassins de mobilité dépassant les frontières administratives traditionnelles. Les contrats opérationnels de mobilité permettent d’associer l’ensemble des acteurs concernés (collectivités, opérateurs de transport, entreprises, associations) pour définir les modalités de l’action commune.
Financement des mobilités durables
Le financement des mobilités durables repose sur un système complexe associant ressources fiscales dédiées et subventions. Le versement mobilité (anciennement versement transport), payé par les employeurs de plus de 11 salariés, constitue la principale ressource des AOM pour financer les transports publics. Son taux varie selon la taille de l’agglomération et peut être majoré si l’AOM réalise des investissements dans les transports en commun en site propre.
L’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) joue un rôle central dans le soutien aux projets d’infrastructure favorisant les mobilités durables. Ses ressources proviennent notamment des taxes sur les concessionnaires d’autoroutes, d’une partie du produit des amendes radar et de la taxe de solidarité sur les billets d’avion.
Des dispositifs incitatifs complètent ce paysage financier, comme le programme des certificats d’économies d’énergie (CEE) qui finance des actions en faveur de la mobilité durable, ou les appels à projets lancés dans le cadre du Plan de relance et de France 2030 pour soutenir les innovations dans le domaine des mobilités décarbonées.
Instruments juridiques au service de la mobilité durable
Le droit français a développé un arsenal d’instruments juridiques visant à encourager l’adoption de comportements de mobilité plus respectueux de l’environnement. Ces outils se caractérisent par leur diversité, allant de mesures contraignantes à des dispositifs incitatifs.
Instruments de planification territoriale
La planification constitue un levier majeur pour orienter les politiques de mobilité vers plus de durabilité. Le plan de mobilité (PDM), qui remplace l’ancien plan de déplacements urbains (PDU), est obligatoire dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Ce document stratégique définit les principes d’organisation des transports de personnes et de marchandises, de la circulation et du stationnement sur le territoire. Il doit être compatible avec le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et prendre en compte les objectifs du plan climat-air-énergie territorial (PCAET).
Les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) peuvent intégrer un volet mobilité (on parle alors de PLUi-D) qui reprend les dispositions du PDM. Cette intégration permet une meilleure articulation entre urbanisme et transport, favorisant notamment le développement de la ville des courtes distances et limitant l’étalement urbain générateur de déplacements motorisés.
Pour les entreprises, le plan de mobilité employeur (PDM-E) est devenu un outil central. Obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés sur un même site dans le périmètre d’un PDM, il vise à optimiser et augmenter l’efficacité des déplacements des salariés, en diminuant les déplacements en voiture individuelle.
Dispositifs fiscaux et financiers
Le législateur a mis en place un système de bonus-malus écologique qui pénalise financièrement l’achat de véhicules émettant beaucoup de CO2 tout en subventionnant l’acquisition de véhicules propres. Ce dispositif, régulièrement ajusté, illustre l’application du principe pollueur-payeur dans le domaine des mobilités.
La prime à la conversion complète ce dispositif en aidant les ménages et les entreprises à remplacer un ancien véhicule polluant par un véhicule plus propre, neuf ou d’occasion. Cette aide peut être majorée pour les ménages modestes ou les personnes habitant ou travaillant dans une zone à faibles émissions mobilité.
Le forfait mobilité durable, instauré par la LOM, permet aux employeurs de verser jusqu’à 700 euros par an en franchise d’impôt et de cotisations sociales aux salariés qui se rendent au travail en vélo, en covoiturage, en autopartage avec des véhicules électriques ou hybrides rechargeables, ou en utilisant d’autres services de mobilité partagée.
D’autres mesures fiscales incitatives existent, comme:
- L’amortissement accéléré pour les véhicules peu polluants acquis par les entreprises
- La TVA déductible sur l’électricité utilisée pour la recharge des véhicules
- Les exonérations de taxe sur les véhicules de société pour les véhicules électriques
Mesures de restriction de circulation
Les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) constituent un outil réglementaire puissant pour réduire la pollution atmosphérique dans les agglomérations. Elles permettent aux collectivités de limiter la circulation des véhicules les plus polluants selon leur classification Crit’Air. La loi Climat et Résilience a rendu obligatoire leur mise en place dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici 2025, avec un calendrier progressif d’interdiction des véhicules les plus polluants.
Les restrictions temporaires de circulation lors des pics de pollution complètent ce dispositif. Les préfets peuvent ainsi mettre en place la circulation différenciée, n’autorisant que les véhicules les moins polluants à circuler pendant les épisodes de pollution, ou réduire les vitesses autorisées sur certains axes routiers.
Mobilités émergentes et défis juridiques
L’innovation technologique transforme rapidement le paysage des mobilités, posant de nouveaux défis au cadre juridique existant. Le droit doit s’adapter pour encadrer ces nouvelles pratiques tout en préservant leur potentiel de contribution à la durabilité des déplacements.
Micromobilités et partage de l’espace public
L’essor des engins de déplacement personnel motorisés (EDPM) comme les trottinettes électriques, gyropodes ou hoverboards a nécessité une adaptation du Code de la route. Le décret du 23 octobre 2019 a intégré ces nouveaux véhicules dans la réglementation, définissant leurs caractéristiques techniques (puissance limitée à 25 km/h), les règles de circulation (interdiction de circuler sur les trottoirs, obligation d’emprunter les pistes cyclables lorsqu’elles existent) et les équipements obligatoires (feux, dispositifs réfléchissants).
Les services de free-floating (trottinettes, vélos ou scooters en libre-service sans station) ont posé des questions inédites sur l’occupation de l’espace public. La LOM a donné aux collectivités les moyens juridiques de réguler ces services, en leur permettant de délivrer des titres d’occupation du domaine public aux opérateurs, assortis de prescriptions sur les caractéristiques des engins, les conditions de stationnement et d’entretien, ou encore la communication des données d’usage.
Cette régulation s’est parfois traduite par des mesures radicales, comme l’interdiction des trottinettes en libre-service à Paris suite à une consultation citoyenne en avril 2023, illustrant les tensions que peuvent susciter ces nouveaux modes de déplacement dans un espace urbain déjà saturé.
Mobilités partagées et numériques
Le covoiturage bénéficie désormais d’un cadre juridique précis. La LOM a clarifié son statut fiscal et social, en exonérant de cotisations les sommes versées dans le cadre du partage des frais, dans la limite du barème kilométrique. Elle a autorisé les collectivités à subventionner les trajets en covoiturage et à créer des voies réservées aux véhicules transportant plusieurs personnes.
Les plateformes numériques de mobilité connaissent un développement rapide, qu’il s’agisse d’applications de mise en relation entre conducteurs et passagers pour le covoiturage ou de services d’information multimodale. La LOM a créé un cadre favorable au Mobility as a Service (MaaS) en imposant l’ouverture des données de transport et en facilitant la distribution des titres de transport par des tiers. Le règlement délégué (UE) 2017/1926 de la Commission européenne sur les services d’information sur les déplacements multimodaux complète ce dispositif au niveau européen.
Véhicules autonomes et connectés
Le développement des véhicules autonomes soulève d’importants enjeux juridiques, notamment en matière de responsabilité en cas d’accident. La loi PACTE de 2019 a autorisé le gouvernement à légiférer par ordonnance pour permettre la circulation de véhicules à délégation de conduite. L’ordonnance n° 2021-443 du 14 avril 2021 a ainsi créé un régime de responsabilité spécifique, distinguant les cas où le système de conduite automatisé est activé ou non.
Au niveau international, l’amendement à la Convention de Vienne sur la circulation routière, entré en vigueur en 2016, a constitué une première étape en autorisant les systèmes de conduite automatisés à condition que le conducteur puisse les contrôler ou les désactiver. La Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) poursuit ses travaux pour adapter le cadre réglementaire international à ces nouvelles technologies.
Les véhicules connectés soulèvent quant à eux des questions relatives à la protection des données personnelles et à la cybersécurité. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) s’applique aux données collectées par ces véhicules, tandis que le règlement (UE) 2019/2144 sur la sécurité générale des véhicules impose des exigences spécifiques en matière de cybersécurité pour les nouveaux types de véhicules à partir de juillet 2022.
Contentieux et enjeux de justice environnementale
L’émergence du droit des mobilités durables s’accompagne d’un développement du contentieux, reflétant les tensions entre différents droits et intérêts. Ces litiges révèlent la dimension sociale et politique des choix de mobilité, soulevant des questions fondamentales de justice environnementale.
Contentieux administratif des politiques de mobilité
Les mesures restrictives de circulation, comme les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), font l’objet de recours devant les juridictions administratives. Ces contentieux opposent généralement le droit à la qualité de l’air, fondé sur les articles L. 220-1 et suivants du Code de l’environnement, au droit à la mobilité des propriétaires de véhicules anciens, souvent issus des catégories sociales les moins favorisées.
La jurisprudence tend à valider ces restrictions lorsqu’elles sont proportionnées à l’objectif de protection de la santé publique. Ainsi, le Conseil d’État a rejeté en février 2022 un recours contre la ZFE-m de Lyon, considérant que les mesures d’accompagnement mises en place (aides à l’achat de véhicules propres, tarification sociale des transports en commun) permettaient de limiter l’impact social des restrictions.
Les documents de planification font également l’objet de contestations. Des associations environnementales attaquent régulièrement les plans de mobilité ou les plans climat-air-énergie territoriaux qu’elles jugent insuffisamment ambitieux au regard des objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces recours s’appuient souvent sur l’obligation de compatibilité entre ces documents et des normes supérieures comme le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET).
Mobilité et justice sociale
La transition vers des mobilités plus durables soulève d’importants enjeux d’équité sociale. Le mouvement des Gilets jaunes, déclenché par une hausse de la taxe carbone sur les carburants, a mis en lumière les inégalités territoriales et sociales face à la mobilité. Les habitants des zones périurbaines et rurales, souvent dépendants de la voiture pour leurs déplacements quotidiens, peuvent percevoir les politiques de mobilité durable comme punitives lorsqu’elles ne s’accompagnent pas d’alternatives accessibles.
Ce constat a conduit à l’émergence du concept de précarité mobilité, reconnu par la LOM qui prévoit des mesures spécifiques pour les personnes en situation de vulnérabilité économique ou résidant dans des zones peu denses. Parmi ces mesures figurent:
- Le plan d’action pour les mobilités actives dans les zones peu denses
- La possibilité pour les collectivités de proposer des aides individuelles à la mobilité
- Le développement du transport d’utilité sociale pour les personnes dont l’accès aux transports publics est limité
La question du droit à la mobilité, qui n’est pas expressément consacré par la Constitution mais peut être rattaché à la liberté d’aller et venir, se pose avec acuité. La jurisprudence constitutionnelle a reconnu que les restrictions à cette liberté devaient être justifiées par des motifs d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Vers un droit au recours effectif en matière environnementale
Le contentieux des mobilités durables s’inscrit dans un mouvement plus large de renforcement de l’accès à la justice en matière environnementale, conformément à la Convention d’Aarhus ratifiée par la France. L’action de groupe en matière environnementale, introduite par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle de 2016, offre de nouvelles possibilités pour contester les décisions ou carences préjudiciables à l’environnement.
Les contentieux climatiques se multiplient, à l’image de l’affaire Grande-Synthe dans laquelle le Conseil d’État a enjoint au gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou de l’Affaire du Siècle qui a abouti à la condamnation de l’État pour carence fautive dans la lutte contre le changement climatique. Ces décisions, qui concernent indirectement le secteur des transports responsable d’environ 30% des émissions nationales, pourraient contraindre les pouvoirs publics à accélérer la transition vers des mobilités plus durables.
Perspectives d’avenir pour le droit des mobilités durables
Le droit des mobilités durables se trouve à un carrefour, confronté à des défis majeurs qui nécessiteront des adaptations profondes du cadre juridique existant. Plusieurs tendances se dessinent, qui orienteront vraisemblablement l’évolution de cette branche du droit dans les années à venir.
Vers une approche systémique des mobilités
La fragmentation actuelle du droit des mobilités, réparti entre différents codes (transports, environnement, urbanisme, énergie) et niveaux de normes, pourrait céder la place à une approche plus intégrée. Le concept de mobilité durable invite à dépasser les silos traditionnels pour penser conjointement les dimensions environnementale, sociale et économique des déplacements.
Cette évolution se manifeste déjà dans l’émergence des contrats de mobilité servicielle (MaaS), qui proposent un accès unifié à différents services de transport. Le cadre juridique de ces contrats reste à préciser, notamment concernant les responsabilités respectives des différents acteurs de la chaîne de valeur et la protection des consommateurs.
La planification territoriale tend également vers plus d’intégration, avec le développement de documents comme les plans locaux d’urbanisme intercommunaux tenant lieu de plan de mobilité (PLUi-D). Cette approche favorise une meilleure articulation entre politiques d’urbanisme et de transport, condition nécessaire à la réduction des besoins de déplacement motorisés.
Renforcement des contraintes environnementales
L’adoption du paquet législatif « Fit for 55 » par l’Union européenne, qui vise à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030, aura des répercussions profondes sur le droit des mobilités. Le règlement établissant des normes de performance en matière d’émissions de CO2 prévoit la fin de la vente des véhicules thermiques neufs à partir de 2035, ce qui accélérera la transition vers l’électromobilité.
Cette évolution nécessitera d’adapter le cadre juridique national, notamment concernant:
- Le déploiement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques, avec un renforcement probable des obligations d’équipement dans les bâtiments neufs et existants
- La gestion de la fin de vie des batteries, avec des exigences accrues en matière de recyclage et de responsabilité élargie des producteurs
- La régulation du marché de l’électricité pour faire face à l’augmentation de la demande liée à l’électrification des transports
Le développement des carburants alternatifs comme l’hydrogène ou les biocarburants avancés s’accompagnera de nouvelles normes techniques et environnementales, tandis que les zones à faibles émissions mobilité devraient se généraliser et devenir plus restrictives.
Adaptation à la révolution numérique
La numérisation croissante des mobilités soulève des questions juridiques complexes qui appelleront des réponses législatives et réglementaires. La collecte massive de données par les véhicules connectés et les applications de mobilité pose des défis en termes de protection de la vie privée et de souveraineté numérique.
Le règlement européen sur les données (Data Act) et le règlement sur la gouvernance des données (Data Governance Act) établissent un cadre général qui devra être précisé pour le secteur spécifique des mobilités. La notion de données d’intérêt général, introduite par la LOM pour les données de mobilité, pourrait s’étendre à d’autres types de données nécessaires à l’optimisation des systèmes de transport.
L’encadrement juridique des algorithmes utilisés pour la tarification dynamique, l’allocation des ressources de mobilité partagée ou la gestion du trafic deviendra un enjeu majeur, notamment sous l’angle de la non-discrimination et de la transparence. Le règlement européen sur l’intelligence artificielle en cours d’élaboration apportera des premiers éléments de réponse, mais des adaptations sectorielles seront probablement nécessaires.
Nouveaux modèles économiques et juridiques
Les modèles économiques de la mobilité durable, fondés sur l’usage plutôt que la propriété, bousculent les catégories juridiques traditionnelles. Le développement de l’économie de la fonctionnalité dans le secteur des transports nécessitera d’adapter le droit des contrats et de la consommation.
La distinction entre service public et service commercial de mobilité tend à s’estomper, avec l’émergence de partenariats public-privé innovants. La notion de service public de la mobilité durable pourrait se consolider, justifiant des obligations spécifiques pour les opérateurs privés en termes d’accessibilité, de continuité et d’adaptation.
La fiscalité des mobilités devra être profondément repensée pour maintenir des ressources suffisantes tout en accompagnant la transition énergétique. La diminution programmée des recettes issues de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) avec l’électrification du parc automobile conduira probablement à l’instauration de nouveaux mécanismes de financement, comme une redevance kilométrique ou une tarification de l’usage des infrastructures modulée selon l’impact environnemental.
Enfin, l’internationalisation des enjeux de mobilité durable pourrait conduire à un renforcement de la coopération juridique internationale, notamment pour harmoniser les normes techniques, faciliter l’interopérabilité des systèmes et prévenir le dumping environnemental. Les accords commerciaux intégreront de plus en plus des clauses relatives à la durabilité des transports, contribuant à l’émergence d’un droit global des mobilités durables.