Arbitrage et Médiation : Alternative Efficace aux Procédures Judiciaires

Face à l’engorgement des tribunaux et aux délais judiciaires qui s’allongent, les modes alternatifs de résolution des conflits gagnent du terrain dans le paysage juridique français et international. L’arbitrage et la médiation s’imposent comme des solutions privilégiées pour dénouer les différends commerciaux, civils ou familiaux sans recourir aux procédures classiques. Ces mécanismes offrent flexibilité, confidentialité et rapidité, tout en préservant les relations entre les parties. Cette analyse approfondie examine les fondements juridiques, avantages, limites et perspectives d’avenir de ces alternatives aux procédures judiciaires traditionnelles, dans un contexte où l’efficacité et l’économie de ressources deviennent prioritaires.

Fondements juridiques et principes directeurs des MARD

Les Modes Alternatifs de Règlement des Différends (MARD) reposent sur un cadre juridique solide, tant au niveau national qu’international. En France, la réforme de la justice du 23 mars 2019 a considérablement renforcé leur place, rendant obligatoire la tentative de résolution amiable avant toute saisine du tribunal pour certains litiges. Cette évolution s’inscrit dans une tendance mondiale de déjudiciarisation des conflits.

L’arbitrage trouve son fondement dans les articles 1442 à 1527 du Code de procédure civile français. Ce processus juridictionnel privé permet aux parties de soumettre leur litige à un ou plusieurs arbitres qui rendront une décision contraignante, appelée sentence arbitrale. Cette sentence bénéficie d’une force exécutoire similaire à un jugement après exequatur. Sur le plan international, la Convention de New York de 1958 facilite la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères dans plus de 160 pays.

Quant à la médiation, elle est encadrée par les articles 131-1 à 131-15 du Code de procédure civile et la directive européenne 2008/52/CE. Elle repose sur l’intervention d’un tiers neutre, impartial et indépendant qui aide les parties à trouver elles-mêmes une solution à leur conflit. Le médiateur n’impose aucune décision mais facilite le dialogue. L’accord issu de la médiation peut être homologué par un juge pour acquérir force exécutoire.

Ces deux mécanismes partagent des principes directeurs fondamentaux :

  • Le consentement des parties, pierre angulaire de ces processus
  • La confidentialité des échanges et des documents produits
  • L’impartialité et l’indépendance des tiers intervenants
  • La flexibilité procédurale, permettant d’adapter le processus aux besoins spécifiques

La Cour de cassation a régulièrement affirmé l’importance de ces principes, notamment dans un arrêt du 11 octobre 2017 où elle rappelait que « la confidentialité attachée à la médiation interdit que les échanges intervenus au cours du processus puissent être utilisés ultérieurement dans une procédure contentieuse ».

Il convient de distinguer ces mécanismes d’autres MARD comme la conciliation, la procédure participative ou le droit collaboratif. Chacun possède ses spécificités procédurales et s’adapte à différents types de conflits. La loi J21 du 18 novembre 2016 a d’ailleurs consolidé cet éventail en créant le statut de médiateur et en renforçant les garanties procédurales.

Atouts comparatifs de l’arbitrage face aux juridictions étatiques

L’arbitrage présente plusieurs avantages distinctifs qui expliquent son succès croissant, particulièrement dans les relations commerciales internationales. Ces atouts en font une alternative privilégiée aux juridictions étatiques pour de nombreuses entreprises et acteurs économiques.

La rapidité constitue l’un des principaux attraits de l’arbitrage. Alors qu’une procédure devant les tribunaux peut s’étendre sur plusieurs années, une procédure arbitrale se déroule généralement en 12 à 18 mois. Cette célérité s’explique par l’absence de formalisme excessif et la possibilité d’adopter un calendrier procédural sur mesure. La Chambre de Commerce Internationale (CCI) rapporte que la durée moyenne de ses arbitrages est de 16 mois, contre 3 à 5 ans pour certains contentieux commerciaux complexes devant les juridictions nationales.

La confidentialité représente un autre avantage majeur. Contrairement aux audiences publiques des tribunaux, l’arbitrage se déroule à huis clos. Les mémoires, pièces, témoignages et la sentence elle-même demeurent confidentiels, préservant ainsi les secrets d’affaires et la réputation des parties. La Cour d’appel de Paris a d’ailleurs consacré ce principe dans un arrêt du 22 janvier 2019, sanctionnant la divulgation d’informations issues d’une procédure arbitrale.

La spécialisation des arbitres constitue un atout considérable. Les parties peuvent désigner des arbitres possédant une expertise technique dans le domaine concerné par le litige. Un différend relatif à un contrat de construction pourra ainsi être tranché par un ingénieur spécialisé, un avocat expert en droit de la construction et un professeur de droit des contrats. Cette expertise technique réduit le besoin d’expertises longues et coûteuses.

Flexibilité et neutralité procédurales

L’arbitrage offre une flexibilité procédurale inégalée. Les parties peuvent choisir le siège de l’arbitrage, la langue de la procédure, les règles applicables et même adapter certains aspects procéduraux. Cette malléabilité permet d’optimiser le déroulement de l’instance selon les besoins spécifiques du litige. Le Règlement d’arbitrage de la CCI ou celui de la London Court of International Arbitration (LCIA) offrent des cadres procéduraux éprouvés mais adaptables.

Dans un contexte international, l’arbitrage garantit une neutralité juridictionnelle précieuse. Les parties peuvent éviter les juridictions nationales de l’une ou l’autre, perçues comme potentiellement partiales. Cette neutralité s’accompagne de la possibilité de choisir le droit applicable au fond du litige, qui peut être différent des droits nationaux des parties, voire consister en des principes transnationaux comme les Principes UNIDROIT.

L’exécution facilitée des sentences arbitrales internationales constitue un avantage décisif. Grâce à la Convention de New York de 1958, une sentence arbitrale peut être exécutée dans plus de 160 pays, souvent plus facilement qu’un jugement étranger. Cette convention limite drastiquement les motifs de refus d’exequatur, principalement à des questions d’ordre public international ou de violation des droits de la défense.

Ces caractéristiques font de l’arbitrage l’instrument privilégié pour résoudre les litiges dans des secteurs comme l’énergie, la construction, les joint-ventures internationales ou les contrats de distribution. Le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) traite spécifiquement les litiges entre investisseurs et États, offrant une protection juridique aux investissements transnationaux.

La médiation : processus collaboratif orienté vers l’avenir

La médiation se distingue fondamentalement de l’arbitrage et des procédures judiciaires classiques par son approche non adversariale. Elle constitue un processus de négociation assistée où le médiateur, tiers neutre et impartial, aide les parties à élaborer elles-mêmes une solution mutuellement acceptable. Cette démarche transforme profondément le rapport au conflit en privilégiant la coopération plutôt que la confrontation.

Le médiateur emploie des techniques de communication sophistiquées pour faciliter les échanges constructifs. Il pratique l’écoute active, reformule les propos des parties pour clarifier les positions, identifie les intérêts sous-jacents au-delà des positions affichées et favorise la créativité dans la recherche de solutions. Le Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP) forme ses médiateurs à ces compétences spécifiques, distinctes de celles requises pour un juge ou un arbitre.

La médiation se caractérise par son orientation vers l’avenir plutôt que vers le passé. Là où le juge ou l’arbitre tranche un litige en déterminant qui a raison au regard du droit, le médiateur aide les parties à construire une solution pour demain. Cette approche prospective permet souvent de préserver les relations commerciales ou personnelles entre les parties, un atout considérable dans les relations d’affaires de long terme ou les conflits familiaux.

Souplesse et maîtrise du processus par les parties

Les parties conservent la maîtrise totale du processus et de son issue. Elles peuvent interrompre la médiation à tout moment, contrairement à une procédure judiciaire ou arbitrale qui suit son cours jusqu’à la décision finale. Cette liberté encourage l’engagement sincère dans le processus, puisque rien ne peut être imposé sans le consentement des participants.

La créativité dans l’élaboration des solutions constitue une force majeure de la médiation. Les parties peuvent imaginer des arrangements que ni un juge ni un arbitre ne pourraient ordonner, car ils sont limités par les demandes formelles et le cadre juridique strict. Une médiation commerciale peut ainsi aboutir à la création d’un nouveau partenariat, à des modalités de paiement innovantes ou à des engagements réciproques dépassant le cadre initial du litige.

Le taux de réussite de la médiation est remarquablement élevé. Selon les statistiques du CMAP, plus de 70% des médiations aboutissent à un accord. Plus significatif encore, le taux d’exécution volontaire de ces accords dépasse 90%, bien supérieur à celui des décisions imposées. Cela s’explique par l’appropriation de la solution par les parties elles-mêmes.

La médiation peut intervenir à différents stades d’un conflit :

  • En médiation conventionnelle, avant toute procédure judiciaire
  • En médiation judiciaire, ordonnée par un juge pendant l’instance
  • En médiation intra-entreprise, pour résoudre des conflits organisationnels
  • En médiation familiale, particulièrement adaptée aux divorces et questions de garde d’enfants

Le cadre juridique de la médiation s’est considérablement renforcé ces dernières années. La loi du 23 mars 2019 a généralisé la tentative préalable de résolution amiable pour les petits litiges et les conflits de voisinage. L’homologation judiciaire des accords issus de médiation leur confère force exécutoire, garantissant leur respect au même titre qu’un jugement.

Analyse comparative des coûts et délais avec les procédures judiciaires

L’aspect économique joue un rôle déterminant dans le choix des modes de résolution des conflits. Une analyse rigoureuse des coûts et délais révèle des différences substantielles entre les procédures judiciaires classiques et les MARD, bien que la situation varie selon la nature et la complexité des litiges.

Les procédures judiciaires engendrent des coûts multiples : frais d’avocat calculés au temps passé (souvent entre 250 et 500€/heure pour des dossiers complexes), frais d’expertise judiciaire (3 000 à 15 000€ en moyenne), frais d’huissier, et parfois droits de plaidoirie. À ces dépenses directes s’ajoutent les coûts indirects : mobilisation des équipes internes, stress organisationnel, impact réputationnel. Une étude du Ministère de la Justice évalue le coût moyen d’un contentieux commercial à environ 20 000€ par partie, pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros pour les dossiers complexes.

En comparaison, la médiation présente une structure de coûts plus légère et prévisible. Les honoraires du médiateur oscillent généralement entre 150 et 400€/heure, pour une durée moyenne de 8 à 15 heures réparties sur 2 à 4 séances. Le CMAP propose des forfaits à partir de 2 500€ pour des médiations commerciales simples. Les avocats restent généralement impliqués mais avec un volume horaire réduit. Le coût total d’une médiation représente habituellement 10 à 30% de celui d’une procédure judiciaire complète.

L’arbitrage occupe une position intermédiaire en termes de coûts. Les honoraires des arbitres (souvent calculés ad valorem, en pourcentage du montant en litige) et les frais administratifs des institutions arbitrales constituent les principales dépenses. Pour un arbitrage CCI portant sur un litige de 1 million d’euros, les coûts administratifs et honoraires d’arbitres avoisinent 50 000€, auxquels s’ajoutent les honoraires d’avocats. Cette option reste généralement moins onéreuse qu’une procédure judiciaire complète avec appel, mais plus coûteuse qu’une médiation.

Impact des délais sur la valeur économique des solutions

L’analyse des délais révèle des écarts encore plus marqués. En France, la durée moyenne d’une procédure devant le Tribunal de commerce est de 11 mois en première instance, auxquels s’ajoutent 15 mois en cas d’appel, soit plus de deux ans au total. Ce délai peut doubler pour les dossiers complexes ou internationaux. La Cour d’appel de Paris traite certains dossiers commerciaux en 30 à 36 mois.

L’arbitrage offre généralement une résolution plus rapide. Les statistiques de la CCI indiquent une durée moyenne de 16 mois entre la constitution du tribunal arbitral et la sentence finale. Les arbitrages accélérés, prévus par certains règlements pour les litiges de moindre importance, peuvent être conclus en 6 mois.

La médiation présente les délais les plus courts, avec une résolution en 2 à 3 mois en moyenne, parfois quelques semaines pour les cas simples. Cette rapidité constitue un avantage économique majeur, particulièrement pour les entreprises pour lesquelles le facteur temps représente un coût d’opportunité significatif.

L’impact économique des délais doit être évalué en tenant compte de plusieurs facteurs :

  • Le coût d’immobilisation des sommes en litige
  • L’incertitude juridique pesant sur les opérations commerciales
  • Les provisions comptables à constituer pendant la durée du litige
  • L’obsolescence potentielle de certaines solutions avec le temps

Une analyse coûts-bénéfices complète intègre également le taux d’exécution des décisions. Les accords de médiation, acceptés volontairement par les parties, bénéficient d’un taux d’exécution spontanée supérieur à 90%, réduisant considérablement les coûts de recouvrement forcé, contrairement aux jugements qui nécessitent plus souvent des mesures d’exécution onéreuses.

Limites et défis des modes alternatifs de résolution des différends

Malgré leurs nombreux avantages, l’arbitrage et la médiation présentent des limites intrinsèques et font face à des défis significatifs qui peuvent restreindre leur efficacité ou leur pertinence dans certains contextes. Une analyse objective implique de reconnaître ces contraintes pour mieux déterminer les situations où ces mécanismes sont véritablement appropriés.

L’arbitrage se heurte à plusieurs obstacles majeurs. D’abord, le coût peut s’avérer prohibitif pour les petits litiges ou les parties disposant de ressources limitées. Les honoraires des arbitres, généralement plus élevés que les frais de justice, peuvent constituer une barrière à l’entrée. Par ailleurs, le caractère binaire de la décision arbitrale (gagnant-perdant) ne permet pas toujours de préserver les relations commerciales futures entre les parties.

Les possibilités de recours contre les sentences arbitrales sont très limitées, ce qui constitue à la fois un avantage en termes de rapidité et un inconvénient en termes de sécurité juridique. Le recours en annulation prévu par l’article 1492 du Code de procédure civile ne permet pas un réexamen au fond de l’affaire, mais uniquement un contrôle restreint portant sur des irrégularités procédurales ou des violations de l’ordre public.

L’efficacité de l’arbitrage peut être compromise par des manœuvres dilatoires. Certaines parties utilisent des tactiques procédurales (récusation d’arbitres, contestation de compétence, demandes de mesures provisoires) pour retarder la procédure. La Cour de cassation a d’ailleurs dû intervenir à plusieurs reprises pour sanctionner ces comportements, notamment dans un arrêt du 28 mars 2018 qualifiant d’abus de droit certaines demandes de récusation manifestement infondées.

Obstacles spécifiques à la médiation

La médiation présente des limites d’une nature différente. Son caractère volontaire, bien que fondamental, constitue paradoxalement sa principale faiblesse. Une partie de mauvaise foi peut feindre d’accepter la médiation pour obtenir des informations sur la stratégie adverse ou simplement gagner du temps. Le Tribunal de commerce de Paris a d’ailleurs reconnu cette problématique dans une ordonnance du 15 janvier 2020, sanctionnant une société pour participation déloyale à une médiation judiciaire.

L’efficacité de la médiation dépend largement de la compétence du médiateur. Or, malgré les efforts de professionnalisation, la qualité des médiateurs reste variable. La Fédération Nationale des Centres de Médiation (FNCM) alerte régulièrement sur l’importance d’une formation solide et d’une éthique rigoureuse. L’absence de statut unifié du médiateur en France complique l’établissement de standards qualitatifs homogènes.

Certains types de litiges se prêtent mal à la médiation, particulièrement :

  • Les litiges impliquant des questions d’ordre public
  • Les situations de déséquilibre de pouvoir marqué entre les parties
  • Les cas où une jurisprudence est nécessaire pour clarifier un point de droit
  • Les conflits où une partie recherche une reconnaissance publique de ses droits

Les déséquilibres de pouvoir entre les parties peuvent compromettre l’équité du processus. Dans un contexte commercial, une PME face à une multinationale peut se trouver en position de faiblesse. Dans le domaine familial, des situations d’emprise psychologique peuvent empêcher une négociation équilibrée. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs souligné dans l’arrêt Momčilović c. Croatie (2015) que l’accès à un tribunal ne peut être entravé par une obligation systématique de recourir à des MARD dans des situations de déséquilibre manifeste.

L’absence de pouvoir coercitif constitue une autre limite significative. Contrairement au juge, le médiateur ne peut ordonner de mesures d’instruction forcées ou de mesures conservatoires. Cette absence de pouvoir peut s’avérer problématique dans les situations d’urgence ou lorsqu’il est nécessaire de préserver des preuves. La loi du 23 mars 2019 a partiellement répondu à cette problématique en facilitant l’articulation entre MARD et procédures d’urgence.

Perspectives d’évolution et transformation numérique des MARD

Le paysage des Modes Alternatifs de Règlement des Différends connaît actuellement une mutation profonde sous l’effet conjugué des évolutions législatives, des attentes sociétales et des innovations technologiques. Ces transformations dessinent les contours d’un écosystème de résolution des conflits plus diversifié et adaptatif pour les années à venir.

L’intégration des technologies numériques constitue sans doute la révolution la plus visible. La médiation en ligne (ODR – Online Dispute Resolution) a connu une accélération spectaculaire avec la crise sanitaire. Des plateformes comme Medicys ou CMAP Digital proposent désormais des processus entièrement dématérialisés, de la saisine à la signature électronique des accords. Ces outils permettent de surmonter les contraintes géographiques et de réduire significativement les coûts opérationnels.

L’intelligence artificielle commence à transformer certains aspects des MARD. Des algorithmes prédictifs analysent la jurisprudence pour évaluer les chances de succès d’une action en justice et orienter vers la solution amiable la plus adaptée. Des outils comme Predictice en France ou Case Law Analytics fournissent des analyses statistiques sophistiquées qui facilitent l’évaluation objective des risques judiciaires. Cette objectivation des chances de succès favorise le recours aux solutions négociées.

Sur le plan législatif, la tendance à l’institutionnalisation des MARD se poursuit. Le rapport Agostini-Molfessis de 2018 préconisait de renforcer encore le caractère obligatoire du préalable amiable. La Commission européenne travaille actuellement sur une refonte de la directive médiation pour harmoniser les pratiques au sein de l’Union. Ces évolutions normatives devraient accroître le recours systématique aux MARD dans les années à venir.

Hybridation et innovation procédurale

L’hybridation des mécanismes constitue une tendance de fond particulièrement prometteuse. Des processus comme la Med-Arb (médiation suivie d’arbitrage en cas d’échec) ou l’Arb-Med-Arb (arbitrage suspendu pour permettre une médiation puis repris si nécessaire) gagnent en popularité. La Chambre de commerce internationale a formalisé ces procédures hybrides dans ses règlements révisés en 2021, témoignant de leur institutionnalisation croissante.

La spécialisation sectorielle des MARD représente une autre évolution majeure. Des centres dédiés se développent pour des industries spécifiques : WIPO Arbitration Center pour la propriété intellectuelle, Court of Arbitration for Sport pour les litiges sportifs, ou Banking Mediation pour les différends bancaires. Cette spécialisation permet d’adapter finement les procédures aux particularités de chaque secteur et d’améliorer la qualité des résolutions.

L’internationalisation des MARD s’intensifie avec l’émergence de nouvelles puissances économiques. Des centres d’arbitrage comme le Singapore International Arbitration Centre ou le Hong Kong International Arbitration Centre rivalisent désormais avec les institutions occidentales traditionnelles. Cette diversification géographique s’accompagne d’une influence croissante des traditions juridiques non-occidentales sur les pratiques arbitrales et de médiation.

Plusieurs défis devront être relevés pour consolider ces évolutions :

  • La formation des professionnels du droit aux techniques de négociation et médiation
  • La sécurisation juridique des procédures dématérialisées
  • L’accessibilité des MARD pour les justiciables aux ressources limitées
  • L’harmonisation internationale des standards de qualité et d’éthique

La doctrine juridique évolue également vers une conception plus intégrative de la justice, où les MARD ne sont plus perçus comme des alternatives marginales mais comme des composantes à part entière du système de résolution des conflits. Le professeur Loïc Cadiet parle ainsi de « justice plurielle » plutôt que d’alternatives à la justice traditionnelle, soulignant la complémentarité fondamentale entre ces différentes voies.

L’avenir des MARD semble donc s’orienter vers un écosystème plus diversifié, technologiquement avancé et intégré, où le choix du mode de résolution s’effectue en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque litige plutôt que par habitude ou tradition. Cette personnalisation de la justice répond aux attentes contemporaines d’efficacité, d’adaptabilité et de participation active des citoyens à la résolution de leurs différends.

Vers une culture juridique de la résolution amiable

Au-delà des aspects techniques et procéduraux, l’essor des Modes Alternatifs de Règlement des Différends témoigne d’une transformation plus profonde de notre rapport au conflit et à la justice. Ce changement de paradigme nécessite une évolution culturelle significative chez tous les acteurs du monde juridique et au sein de la société dans son ensemble.

La formation des professionnels du droit constitue un levier fondamental de cette transformation. Traditionnellement centrée sur l’approche contentieuse et l’argumentation adversariale, l’éducation juridique intègre progressivement les compétences nécessaires à la résolution amiable. Les facultés de droit françaises ont développé des diplômes spécialisés en médiation et négociation. L’École Nationale de la Magistrature forme désormais systématiquement les futurs magistrats aux techniques de conciliation et de médiation judiciaire.

Les avocats redéfinissent progressivement leur rôle face à cette évolution. De défenseurs combatifs dans un processus adversarial, ils deviennent accompagnateurs stratégiques dans un continuum de solutions. Le Conseil National des Barreaux a créé en 2018 le Centre National de Médiation des Avocats (CNMA) pour soutenir cette transition professionnelle. Certains cabinets se spécialisent désormais entièrement dans les approches collaboratives, développant une nouvelle identité professionnelle.

Les entreprises adoptent de plus en plus une approche stratégique de la gestion des conflits. De grandes organisations comme Total, Orange ou BNP Paribas ont mis en place des politiques formalisées de prévention et résolution amiable des différends, intégrant les MARD dans leur gouvernance juridique. Ces politiques comprennent généralement des clauses de médiation systématiques dans les contrats, des formations internes à la négociation raisonnée et des procédures d’escalade graduée des conflits.

Éducation civique et citoyenne à la résolution amiable

L’évolution culturelle doit également toucher les citoyens eux-mêmes. Des initiatives d’éducation civique à la résolution non-violente des conflits se développent dans les établissements scolaires. Des programmes comme « Génération Médiateurs » forment les élèves à la médiation par les pairs dès le collège. Ces expériences précoces façonnent une nouvelle approche du conflit, perçu comme une opportunité de dialogue plutôt qu’une confrontation destructrice.

Les pouvoirs publics jouent un rôle incitatif croissant. Le Ministère de la Justice a lancé plusieurs campagnes de communication sur les avantages des MARD. Des incitations financières se développent, comme la prise en charge partielle des frais de médiation par l’aide juridictionnelle depuis la réforme de 2020. Ces mesures visent à surmonter les réticences initiales et à normaliser le recours aux solutions amiables.

La recherche académique contribue à cette évolution en documentant scientifiquement l’efficacité des MARD. Des travaux en psychologie sociale, en neurosciences et en analyse économique du droit démontrent les bénéfices multidimensionnels des approches collaboratives. Le Laboratoire d’Anthropologie Juridique de Paris étudie notamment comment les mécanismes de médiation s’inscrivent dans différents contextes culturels, enrichissant notre compréhension de ces processus.

Plusieurs indicateurs témoignent de cette transformation culturelle en cours :

  • L’augmentation du nombre de médiations conventionnelles volontairement initiées
  • La multiplication des centres de médiation et services d’arbitrage
  • L’intégration croissante de clauses MARD dans les contrats standards
  • Le développement d’une jurisprudence favorable aux processus amiables

Cette évolution culturelle ne signifie pas l’abandon du système judiciaire traditionnel, mais plutôt une redéfinition de son rôle dans un écosystème plus diversifié. La justice étatique conserve des fonctions essentielles : trancher les questions d’ordre public, protéger les parties vulnérables, créer des précédents jurisprudentiels structurants et intervenir lorsque les approches amiables échouent.

Le défi pour l’avenir consiste à dépasser l’opposition artificielle entre justice traditionnelle et MARD pour construire un système intégré où chaque modalité de résolution trouve sa place optimale. Cette vision systémique commence à s’incarner dans des initiatives comme les Pôles de Justice Amiable expérimentés dans certaines juridictions, qui proposent un continuum cohérent d’options de résolution adaptées à chaque situation.

La véritable réussite de cette transformation culturelle se mesurera à sa capacité à rendre la résolution amiable non plus exceptionnelle mais ordinaire, non plus subie mais choisie, non plus marginale mais centrale dans notre conception de la justice au XXIe siècle.